L'argent du beurre a un drôle de goût...

Publié le par Mr le prof

Ce matin, j’ouvre mon courrier, il y avait mon bulletin de salaire du mois de juin dedans. Eh oui, j’ai beau dire que je suis un nostalgique du papier, pour me joindre c’est plus facile de m’envoyer un e-mail… ou alors un recommandé ! Quoiqu’il en soit, j’ouvre avec un peu de retard donc (l’enveloppe est datée du 07/07), mon bulletin de salaire, et là, surprise : un bonus de 2644,89 euros. Sur la même ligne à gauche : « Indemnités cours complémentaires ». Effectivement, cette année, une de mes collègues est partie en congé maternité, et comme nous avons quelques compétences communes, j’ai assuré une cinquantaine d’heures à sa place. Dans la colonne « à déduire » (les charges, impôts, etc.) : 0 ! Que de bonnes nouvelles donc ! 2644,89 euros brut qui se transforment en 2644.89 euros net. Je n’avais jamais autant fait d’heures supplémentaires (en général j’essaie d’harmoniser mon service sur le strict réglementaire), donc c’est la première fois que j’ai une telle rallonge dans mon salaire. Pourtant, cet argent, que j’ai honnêtement gagné me laisse un arrière-goût bizarre, le sentiment que quelque chose ne tourne pas très rond dans cette histoire !


Ce qu’on demande aux enseignant-chercheurs


Vous vous souvenez peut-être du billet que j’ai écrit il y a quelques temps sur l’évaluation des enseignant-chercheurs. J’essayais de résumer la situation actuelle dans laquelle nous a posé le gouvernement. Un organisme, l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) est chargé d’évaluer les formations, les laboratoires, et les chercheurs. Vous avez sûrement entendu parler également de la fameuse LRU (Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités) et surtout de son décret d’application, appelé le décret Pécresse, qui a mis bien des universitaires dans la rue ce printemps, banderoles à la main. Tout ce « monde » (AERES, LRU, décret) pour ainsi dire ne fait qu’un pour poser les bases de l’évaluation des enseignant-chercheurs nouveau régime : un « bon » enseignant-chercheur est un chercheur qui publie dans des revues à comité de lecture. Un « bon » labo est un labo composé de bons enseignant-chercheurs, car dans cette logique, les universités doivent être classées sur leur performances, en fonction desquelles on leur attribuera des financement (système SYMPA – Système de répartition des Moyens à l’Activité et à la Performance - sur lequel je reviendrai un de ces quatre). En résumé, pour ceux qui auraient déjà mal à la tête, il faut que les enseignant-chercheurs publient ! Sinon ils verront la possibilité d’avoir des pressions de la part de leur président d’université voire de se faire gentiment sortir de leur labo, ou tout simplement on va leur couper toutes ressources pour bien faire leur travail (financement des recherches, remboursements des frais de congrès, etc etc), mais nous n’en sommes pas là.


Pour ma part, je me considère davantage chercheur qu’enseignant. Attention, je ne dis pas que je n’aime pas enseigner, mais mes deux cents heures me suffisent largement. Une journée en moyenne par semaine devant les étudiants, ça me convient très bien. La recherche, c’est pour cela que j’ai choisi cette voie. Je ne pense pas être un brillant chercheur, en tout cas je doute que mes travaux causent un jour une révolution scientifique mais je « produis ». J’écris des livres, des articles, je prêche la bonne parole dans des congrès, je fais partie d’une association de recherche dans laquelle je suis très investi. Vous vous en doutez, ça prend des heures, des jours, des mois. Ca « bouffe » tout, même les vacances. Tout ça pour ? Le plaisir ? La reconnaissance ? L’admiration des autres chercheurs (ou au moins leur respect) ? Un peu de tout ça c’est vrai. Mais sur les centaines d’heures que j’y ai passé cette année, je n’en ai pas retiré 2644,89 euros ! Si je regarde ce qui est valorisé par l’AERES : l’article dans la revue classée. Ce qu’on attend donc des chercheurs pour que la recherche Française arrive au sommet des classements faits par on ne sait pas trop qui mais qu’importe, si on veut donc que la recherche Française soit au firmament de la recherchem ondiale, il faut que chacun publie dans des revues classées.


Le processus d’évaluation des revues


J’ai donc « fait » (ou presque pour l’instant) mon travail, j’ai rédigé un article, ce qui m’a pris beaucoup de temps (des centaines d’heures si je prends en compte la recherche depuis son départ, de l’idée, à la rédaction, en passant par la collecte de données, les analyses, les recherches documentaires, etc). Je l’ai envoyé dans une revue de rang A (ce sont les meilleures aux yeux de l’AERES). Le papier est réceptionné par le rédacteur en chef qui décide si oui ou non il va le faire évaluer. Une fois sa décision prise, il l’envoie à quatre personnes (parfois deux ou trois suivant le niveau de la revue) qu’on appelles des lecteurs, ou relecteurs, ou reviewers. Ils ne savent pas qui je suis, le papier est anonyme (comme ce blog) et je ne sais pas qui ils sont. C’est ce qu’on appelle l’évaluation en double aveugle. Chacun de ces lecteurs à le choix entre accepter, refuser ou demander des modifications plus ou moins lourdes (on parle de majeures et mineures). Le rédacteur en chef compile les avis pour donner une réponse à l’auteur :
4 lecteurs acceptent =  papier accepté (dans une revue de rang A, cela est quasi impossible)
1 refuse, 1 modif majeure, 2 modifs mineures : modifications majeures demandées
Etc, vous voyez le nombre de possibilités…


Donc je reçois l’avis qui me demande des modifications majeures. Je repars sur une refonte complète du papier. Et je renvoie. C’est ce qu’on appelle le deuxième tour. Le processus est le même, je ne sais pas qui sont les lecteurs (mais ce sont les même qu’en premier tour) et eux ne savent pas qui je suis (en théorie car une recherche google sur les thèmes de la recherche laisse peu d’alternatives). De nouveau, je reçois un avis quelques semaines après : deux majeures, deux mineures… Modifications majeures demandées donc… Je m’inquiète pas, pour une revue de rang A on peut aller parfois à 5 aller-retours.


Actuellement j’en suis donc à la troisième version. On verra bien (je vous dirais) comment ça va finir. Mais que le papier soit finalement publié ou pas, j’aurai combien à l’arrivée pour tout ce temps passé ? 0euros. Rien. Pas un rond ! Je ne suis pas en train de me plaindre, j'aime ce que je fais. Je constate juste un fait.


L’incohérence


Je dépanne une collègue une cinquantaine d’heures : 2644,89 euros ! On demande donc aux chercheurs de publier, mais s’ils ne le font pas et qu’ils donnent des heures supplémentaires, on les paie. Et pas qu’un peu ! Il y a des plafonds, mais je ne vois même pas comment on peut les atteindre, j’ai une collègue qui donne 300 heures supplémentaires ! Comptez bien, ça fait environ 18 000 euros par an. Alors bien entendu, elle les a fait ces heures, il faut bien les lui payer. Et je comprends bien que j'ai déjà un salaire qui me paie pour ma recherche. Je ne mets pas du tout cela en cause, j'ai des heures de cours à faire, j'ai de la recherche à faire. J'ai un salaire pour tout cela et la publication d'articles fait partie de mon travail.

Mais ce qui est assez dingue, c’est qu'alors que l'on pousse, par la pression les chercheurs à faire de la recherche, on les incite à faire des heures de cours supplémentaires de manière assez motivante. Comment ?


Notre gouvernement qui est prêt à nous mettre la pression d’un côté si jamais les publications ne sont pas faites, a tout mis en place à mon avis (en tout cas de ce que j’en vois) pour inciter les enseignant-chercheurs à faire plutôt des heures de cours supplémentaires. Je m’explique. Il y a deux ans (laissez la date en commentaire si vous la connaissez), notre cher Président a défiscalisé les heures supplémentaires. Du coup, cet argent est net d’impôt ! Donc vraiment, chaque heure supplémentaire (60eu brut à la fac) est très intéressante financièrement. Mais ce n’est pas tout ! En faisant des heures supplémentaires, on cotise pour la retraite ! Cela veut dire quoi ? Qu’un enseignant-chercheur qui ne fait pas de recherche, et qui fait des heures supplémentaires, aura une retraite plus élevée qu’un enseignant-chercheur qui publie et qui n’a pas le temps de faire des heures supplémentaires !



Finalement, quand on vous dit qu'il faut avoir la vocation pour faire de la recherche, il faut le croire !

 

Publié dans La recherche

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W
Pretty good post. I just stumbled upon your blog and wanted to say that I have really enjoyed reading your blog posts.
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O
<br /> Je tiens à ajouter que j'aime la forme de plaque du livre d'or que c'est la meilleure forme la plaque de partager les sentiments.<br /> <br /> <br />
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O
<br /> Needless to say - Awesome post. Many thanks for sharing this useful resource.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> La dernière possibilité évoquée, c.a.d. un PR2 qui ne voit pas de perspective de passer PR1 et voit qu'avec la PEDR transformée en PES et un dossier moyen++, il n'y a plus aucune chance, a tout<br /> intérêt financier à faire un max d'heures sup.<br /> <br /> Chez nous il est moralement établi et accepté qu'un PR doit avoir une responsabilité importante de structure "non rémunérée", côté recherche, enseignement, formation continue... un PR qui se<br /> défilerait serait l'objet de regards de travers en permanence, en particulier des jeunes MC qui trouveraient que la fiche de paie n'est pas méritée et le feraient sentir.<br /> <br /> <br />
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U
blog is quite informative and interesting for readers. Good Job
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