Le chercheur en vacances ou en congés ?

Publié le par Mr le prof

Ca y est ! C'est le mois d'août, je suis officiellement en congés ! L'université est fermée jusqu'au premier septembre et la voix enregistrée d'une gentille opératrice me le rappelle si je tente de téléphoner au standard. Cela fait bien trois semaines que je n'ai pas mis les pieds à l'université, et pourtant cette fermeture me laisse une sensation indicible. Je ne peux plus téléphoner à mes collègues à moins de les déranger à leur domicile, ou peut-être même sur leur lieu de vacances, je ne peux pas appeler ma secrétaire pour savoir si tout va bien ! Je suis tout seul ! Mais je peux travailler chez moi... je vous l'ai déjà dit (ici).


La notion de congés me renvoie à la schizophrénie de l'enseignant-chercheur. Du coté enseignant, depuis mon dernier cours, c'est les vacances ! Plus d'étudiants à gérer, plus de cours à préparer ou à assurer. Mais du côté chercheur, les congés cela ne signifie pas grand chose, si ce n'est qu'on n'est uniquement chercheur pendant quelques temps et qu'on peut penser à ses travaux sans avoir le stress des cours et des charges administratives. Tranquille pour penser à ses articles, ses bouquins et aux éventuels projets de recherche et de collaborations. Cela présente également l'avantage (comme je l'ai dit ici) qu'on peut travailler sans avoir à se mettre en "tenue, ni à subir les transports en commun.


Mais pour ma part, et j'imagine que c'est le cas pour beaucoup, le chercheur en congés n'est pas un chercheur en vacances. C'est un peu un poncif mais la science ne prend pas de vacances, et du coup on est un peu obligé de la suivre. Les revues continuent d'envoyer des numéros avec des articles intéressants qui pour certains ont des répercussions sur mon travail. Le mois de septembre va arriver avec l'envoi de papiers pour des congrès et revues, et cela ne se fait pas en 15 jours, il faut s'y prendre dès maintenant et surtout, le fait que l'enseignant qui sommeille en nous soit vraiment en vacances laisse l'esprit très libre ce qui peut éventuellement déboucher sur de nouvelles idées, de nouvelles pistes de recherches à explorer. Alors je ne veux pas trop "glorifier" le statut du chercheur, mais quand même, au moins j'utilise ce blog pour lutter contre cette image de fonctionnaire toujours prêt à rentrer chez lui pour se mettre en veille dès que sonnent 16h30 et qui profite bien de ses quatre mois de vacances. Oui dans mon entourage, tout le monde considère que si je ne donne pas cours je suis en vacances. Alors vu qu'en général j'ai rarement cours après le mois d'avril et que je reprends qu'en octobre, ça en fait des vacances ! Donc fonctionnaire oui, en congés oui (mais qu'un mois), mais au travail. En écrivant cela, je repense à l'excellent essai de Roland Barthes dans ses Mythologies. Dans 'L'écrivain en vacances" il raconte l'idée que la bourgeoisie se fait des "hommes d'esprit". Il part d'une photo prise par Le Figaro montrant l'écrivain André Gide lisant du Bossuet tout en descendant le Congo. Il décrit le statut prestigieux que la société bourgeoise accorde donc aux intellectuels en ces termes :


"Ce qui prouve la merveilleuse singularité de l'écrivain, c'est que pendant ces fameuses vacances, qu'il partage fraternellement avec les ouvriers et les calicots, il ne cesse, lui, sinon de travailler, du moins de produire. Faux travailleur, c'est aussi un faux vacancier. (...) il est très naturel que l'écrivain écrive toujours, en toutes situations. D'abord cela assimile la production littéraire à une sorte de sécrétion involontaire, donc tabou, puisqu'elle échappe aux déterminismes humains (...). Le second avantage de cette logorrhée, c'est que par son caractère impératif, elle passe pour l'essence même de l'écrivain. Contrairement aux autres travailleurs qui ne sont plus sur la plage que des estivants, l'écrivain, lui, garde partout sa nature d'écrivain.(...) Tout cela introduit à la même idée d'un écrivain surhomme (...) Pourvoir publiquement l'écrivain d'un corps bien charnel, révéler qu'il aime le blanc sec et le bifteck bleu, c'est me rendre encore plus miraculeux, d'essence plus divine les produits de son art".


A cette époque, dans l'imagerie bourgeoise, l'écrivain est tout sauf ordinaire. Ceci apparaît également dans une autre oeuvre, celle de Pierre Desproges, qui parle également "de ce vieux pédé de Nobel à béret basque que fut André Gide". Dans Les Chroniques de la haine ordinaire, P.D. nous raconte une anecdote au sujet de la mort de l'écrivain et surtout de la quête d'extraordinaire par les journalistes, extraordinaire donc, qui sied au surhomme... L'anecdote concerne donc un rédacteur en chef envoie son plus fin limier couvrir la mort du célèbre écrivain. Puis le soir, ne voyant rien venir, il part s'enquérir auprès du journaliste :

"Ben et votre papier mon vieux ?
- Quel papier chef ?
- Enfin quoi, je vous ai bien envoyé en reportage tout à l'heure ?
- Hein ? Ah oui bien sûr j'y suis allé chef. Mais je n'ai pas fait de papier.
- Comment ça vous n'avez pas fait de papier ???
- Mais non chef, ça valait pas un clou. J'ai vu le toubib du vieux. Il a été formel : mort naturelle."


Enfin, toute plaisanterie mis à part, si la banalité des vacances rend encore plus "miraculeuse" l'essence de l'écrivain, la fonction publique, ou plutôt le "fonctionnariat" me semble rendre définitivement triviale celle du chercheur. Pour être pris au sérieux, en tout cas pour être admiré, l'homme d'esprit doit être libre de toute servitude financière, en tout cas en apparence. Le fait que la production scientifique s'exerce le cadre d'une fonction publique la démystifie, un peu trop à mon goût. Pas seulement pour mon ego (même si j'aimerai bien voir cesser tous ses sourires en coin quand on me dit que je suis tout le temps en vacances), mais également pour la société. Si on compare la place des "intellectuels" dans les débats populaires sur les cinquante dernières années, on ne peut que se rendre compte de leur baisse de popularité et donc d'influence passant de "contemporain capital" à simple consultant. Il en subsiste bien certains qu'on sort de temps à autres dans les journaux ou les plateaux télévisés : Jean d'Ormesson, ou Bernard-Henri Levy (Pierre Desproges doit se retourner dans sa tombe...) mais qui sont bien "inoffensifs"... Où sont donc passés les Sartre, Foucault, Deleuze, Beauvoir ? Aujourd'hui on préfère avoir l'avis des stars du sport ou de la chanson... peut-être plus faciles à cadrer et rarement polémiques en dehors de leur domaine d'intervention qui est rarement politique. Mais cette perte de considération envers les intellectuels, et surtout le fait qu'ils soient (volontairement ou pas) tenus à l'écart de nombreux débats populaires participe d'un mouvement plus large de perte de confiance dans la production de l'esprit et plus largement dans la science en général. Je pense que beaucoup d'entre vous ont vu ces derniers temps des articles sur le fait que de moins en moins de gens croyaient aux théories de Darwin au profit de théories plus créationnistes. Je pense que tout cela participe du même débat. J'y reviendrai très vite. Pas dans le prochain billet mais le suivant ! Car pour le prochain, j'ai décidé de vous raconter un truc assez dingue qu'il m'est arrivé il y a quelques années...

Bonne journée à tous, et surtout bonnes vacances !

Publié dans La recherche

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Bonnes vacances studieuses.<br /> <br /> Les moments pour faire ce qui nous passionne se trouvent la plupart du temps dans les interstices de temps libre dont nous disposons.<br /> Cela dit sans déprécier le reste, bien sur.
Répondre
H
Bien reflechi. Je relirai plus tard quand je ne suis plus au milieu de deux demenagements (maison et laboratoire). Entre temps cela pourrait vous faire sourire un peu:<br /> <br /> http://www.phdcomics.com/comics.php?f=1203
Répondre
M
Bonjour, monsieur,<br /> <br /> Je suis entièrement d’accord avec vous !! Le dernier paragraphe soulève une interrogation pertinente qui est le rôle du chercheur dans le débat public, sa posture face à « l’opinion publique » et sa « non-présence » médiatique (ou son « absence encombrante » du champ populaire). <br /> <br /> Je pense que ce billet a pour corollaire celui sur « le passage à la télé » dans la mesure où la question de « l’identitaire médiatique du scientifique » se pose. Il est terrible pour tous les intellectuels de savoir que le seul penseur philosophique contemporain interrogé par les médias est BHL ! Mais, il représente une certaine idée de la gauche actuelle que les médias nous dépeignent sans cesse se délectant de la guerre interne qui sévit depuis déjà 2 ans. <br /> <br /> Bref, BHL n’est autre que la représentation de l’intellect vieillissant de la rive gauche qui trouve encore son aura face aux médias puisqu’il n’est finalement qu’un simple « spectateur-mystificateur » de la société au lieu d’être « acteur-philosophe » désacralisant les normes sociales. Mais les médias ne font que relayer l’idée qu’entre la rive gauche et la rive droite, il n’y a qu’un pont… telle est l’idéologie de BHL et compagnie : un libéralisme de centre-gauche… <br /> <br /> Pour recentrer quelque peu, il existe des exceptions avec des émissions comme « C dans l’air » ou encore « Ce soir ou jamais » avec des EC/chercheurs (venant de tous les horizons universitaires) qui s’expriment réellement sur un thème d’actualité politique, économique ou social. Donc, la posture du chercheur engendre aussi la question de la « vulgarisation des écrits scientifiques » : quelle doit être la portée d’une théorie vis-à-vis de la « populace » ? <br /> <br /> Le déclin de la présence de chercheurs/EC sur les ondes et dans « la petite lucarne » permet la constance et la « propagation » du préjugé sur les fonctionnaires, sur les chercheurs/EC et enseignants. Les médias continuent malheureusement de montrer les fonctionnaires comme des nantis ayant de très nombreuses prérogatives contrairement aux salariés du secteur privé. Finalement, nous restons suspendus à cette « vision binaire » opposant systématiquement les salariés du privé et les fonctionnaires ; sauf qu’aujourd’hui le fonctionnaire se rapproche de plus en plus du « salarié du public » et in fine du salarié du privé. <br /> <br /> Il est donc difficile pour tout individu lambda ne connaissant pas le système universitaire d’avoir une réelle idée du travail d’un EC. Ce blog permet déjà d’avoir une approche et de comprendre entre autre qu’un EC doit faire face à trois fonctions : chercher, enseigner et administrer. Alors imaginer lorsque j’ai pu faire part à toute ma famille (composée d’ouvriers qualifiés/NQ et d’employés de bureau) que mon rêve/objectif était d’être un jour EC… Réaction unanime : « Ah !! bah c’est la bonne planque ce taf !! »… Mais bien sur ! <br /> <br /> Cela me laisse songeuse… !<br /> <br /> Bonnes vacances,<br /> <br /> Cordialement, <br /> <br /> Mél
Répondre
T
Ce qui est amusant à ce sujet, c'est que tous les profs travaillant à l'étranger que je connais (surtout dans les domaines théoriques) sont partis quasiment tout l'été, soit en congrès, soit en visite scientifique dans d'autres contrées plus ou moins exotiques. Pas des vacances, non, mais une rupture du train train quotidien en somme. Et donc, il semble impossible pour un chercheur étranger de passer l'été avec ses collègues parisiens, vu que les universités francaises sont fermées. Encore un point révélateur des lacunes du système universitaire francais, qui reste, quoi qu'on en dise, très focalisé (i.e. organisé ) sur l'enseignement et pas sur la recherche, d'où aussi les réflexions sur les 4 mois de vacances, etc ...<br /> <br /> Sinon, fonctionnaire, c'est peut-etre pas très funky, mais ca fait un petit peu envie aux post-docs qui galèrent des années pour pouvoir simplement continuer à faire de la recherche.
Répondre
B
Quel que soit le métier, je crois qu'on ne décroche pas totalement pendant les vacances. Profitez bien, en tout cas, des instants plus tranquilles ; s'ils n'empêchent pas le travail de l'esprit, ils permettent cependant de reposer le corps. Bonnes vacances.
Répondre