On ne travaille pas assez à l'université
Petite réaction à chaud suite à un article hier soir dans le Figaro. J'ai dit plusieurs fois que je ne ferai pas de ce blog le lieu d'un discours engagé, ce n'est pas pour autant que je ne réagis pas à l'information surtout quand elle induit le grand public en erreur (comme je l'avais déjà fait pour l'article sur le classement des universités).
Le Figaro donc, et on remarquera le titre volontairement racoleur, nous sort aujourd'hu un article intitulé "Pitte: On ne travaille pas assez à l'université". On apprend que Jean-Robert Pitte est professeur en géographie et ancien président de Paris IV. Il est en outre l'auteur d'un ouvrage intitulé "Stop à l'arnaque du bac". C'est pour dire ! A priori le Figaro a interviewé la personne la plus qualifiée pour parler de la situation...
Enfin quel que soit le statut d'observateur de JR Pitte je me méfie aussi des journalistes qui parfois, coupent des phrases ou les re-organisent comme bon leur semble. On va donc laisser le bénéfice du doute à tous ces gens et s'en tenir uniquement à ce qui est dit dans le papier.
On parle d'emblée des prépas qui "piquent les meilleurs bacheliers" à l'université. A priori, c'est pas faux, donc pas de raison de s'offusquer même si j'aurai bien aimé avoir quelques chiffres par série de bac pour que le lecteur se rende bien compte de l'étendue du phénomène. Ce qui me gêne n'est donc pas là, mais dans les soi-disant raisons qui poussent les "meilleurs bacheliers" à y aller : "Les professeurs y font leur boulot, les étudiants aussi. Tout le monde est motivé. On ne travaille pas assez à l'université même si celle-ci compte de grands professeurs. Enfin, les classes préparatoires aux grandes écoles et surtout les écoles, ensuite, fonctionnent dans l'idée de former les jeunes à trouver un job, ce qui n'est pas le cas des universités".
Les professeurs y font leur boulot.
Dit comme cela, et comme cause de fuite des bons éléments, cela sous-entend donc qu'à l'université les profs ne font pas leur boulot... Il faudrait alors savoir de quel boulot on parle. Alors le premier point est que lorsqu'on parle de classes préparatoires et de grandes écoles on ne sait pas très bien de quoi on parle... Public (X, Centrale, ENS, etc) ? Privé ? Plus loin dans l'article on apprend que la vision est plutôt particulière puisque le seul exemple d'école que l'on a est HEC (grande école de commerce consulaire, je reviendrai plus tard sur la nuance). Alors donc si on prend juste cet exemple, qui m'arrange car j'ai deux amis qui travaillent à HEC, on fait moins le boulot à l'université que chez HEC.
La seule vraie question est ici vous vous en doutez : quel boulot ? Je vais donc prendre l'exemple simple de l'enseignant chercheur lambda : le maitre de conférences. Le maître de conférences (MCF) assure un service d'enseignement de 192h (TD), fait de la recherche et assure tout un tas de tâches administratives (bénévolement). Je n'ai jamais vu un collègue d'HEC se déplacer sur les salons de type INFOSUP ou autre pour assurer des permanences pour discuter avec les étudiants et parents. Je n'ai jamais vu un collègue d'HEC assurer les emplois du temps d'une formation dont il serait le responsable, faire la sélection des dossiers de ses étudiants, assurer toute l'administration du diplome tout simplement. Ensuite niveau heures de cours (je ne vais pas avancer des chiffres mais j'essaierai d'en avoir dans la journée) je n'ai jamais vu non plus un collegue d'HEC être en "sur-service" et devoir faire 250 ou 300 heures de cours par an (chose qui arrive très souvent à l'université quand s'ouvre une nouvelle formation, le temps de recruter, ou pour remplacer un congé maternité, etc). Donc encore et toujours... la recherche ! Car oui, là je le dis, mes collègues d'HEC publient davantage que moi ! Mais est ce que ce n'est pas la moindre des choses ? Ils font moins d'heures de cours, ils ne font aucune tâche administrative, de grandes entreprises leurs amènent les thématiques de recherche, des moyens et le terrain. Ils n'ont quasiment qu'à diriger la recherche, et rédiger. Ils ont même accès à des budgets pour faire traduire les articles ce qui leur ouvre donc toutes les revues internationales possibles. Alors finalement, heureusement qu'ils publient davantage ! Mais sous entendre que l'université ne fait pas le boulot alors que les enseignant-chercheurs croulent sous les taches administratives (sans lesquelles l'université ne pourrait pas fonctionner) et les heures de cours... c'est aller un peu loin !
Les étudiants aussi
Là je trouve cette phrase totalement déplacée. J'interviens à l'université majoritairement. Mais comme je l'ai dit dans un billet récemment, je suis compétent sur un domaine assez pointu avec un forte demande en formation, il m'arrive donc parfois d'intervenir en grande école. Je donne du travail à faire, je n'ai pas remarqué qu'il y avait plus de retardataires lors des échéances que je donne dans un cas plutot que dans l'autre. Les étudiants font ce qu'on leur demande. Cette phrase "les étudiants aussi" était donc tout à fait inutile (comme la précédente et la suivante ceci dit).
Tout le monde est motivé
Continuons dans les clichés... C'est bien connu, le fonctionnaire (MCF) arrive 5mn en retard (quand il n'est pas en arret maladie) et part 15mn avant ! Il va à reculons au travail. Dans les grandes écoles, a priori c'est le contraire, tout le monde est super content de faire du bon travail et a grand plaisir à aller bosser... Heureusement qu'on nous dit que JR Pitte a été président d'une université car on pourrait vraiment se demander s'il y a déjà mis les pieds... ou inversement s'il a déjà mis les pieds dans une grande école. Là encore je ne vois pas du tout de différence d'ambiance ou de motivation. Au niveau des étudiants c'est pareil. Que ce soit en université ou grande école, il y en aucun qui saute au plafond de joie quand je leur annonce qu'ils ont un rapport à me rendre pour la semaine suivante. Alors peut-être qu'on ne parle pas des mêmes motivations...
Pour le lecteur il est important ici donc de comprendre qu'il y a grande école et grande école. HEC est une grande école (de commerce) consulaire dont les frais de scolarité pour les étudiants avoisinent les 7000 euros l'année. Si l'on prend une grande école publique, Centrale par exemple, les frais sont de moins de 500euros l'année. Donc pour une école comme HEC 7000eu par étudiant + de l'argent qui vient des entreprises on voit bien de quelle motivation on parle. Un enseignant chercheur d'HEC gagne entre 2 et 3 fois plus qu'un MCF (selon l'échelon). Payez autant les MCF, je pense que s'il y a un écart de motivation à la base (ce dont je doute), il va immédiatement s'estomper. "Tout le monde" ca veut dire également les étudiants. Prenez les étudiants de l'université, mettez leur un emprunt de 40 000eu sur le dos, ou sur celui de leurs parents (21 000 de frais de scolarité et le reste pour le logement, et la vie étudiante) et on va voir si leur motivation ne va pas augmenter également (dans le cas encore une fois où il y aurait une moindre motivation)...
Former les jeunes à trouver un job
Là aussi c'est bien connu. A l'université on crée des formations pour le plaisir d'envoyer les étudiants au chomage !
L'université est un service public. On attend de cette université qu'elle propose aux étudiants tous les diplomes possibles. Bien entendu qu'il y a des diplomes qui donnent plus facilement un travail que d'autres. Mais on ne peut pas obliger les étudiants à aller dans certaines filières. Chacun est libre de ses choix. Si tout le monde veut aller en lettres anciennes, on n'y peut rien. Le diplome de Master en lettres anciennes est fait pour donner du travail, tout comme un diplome de Master en Marketing dans une université de Gestion. Le problème n'est pas du tout là. Etant donné que ce sont les parents et les étudiants qui choisissent finalement les filières et les diplomes si une majorité d'étudiants choisit les lettres anciennes, c'est sur qu'à l'arrivée il y en aura moins qui trouveront du travail que s'ils avaient choisi marketing. Est ce que c'est parce que le diplome est mal conçu ? Non... Les deux diplomes sont à l'université, correspondent à des métiers. Et si on regarde l'année 2009 il y a surement plus de débouchés dans le marketing que dans les lettres anciennes. L'université fournit tout, mais elle n'est qu'un service. Ce n'est pas à nous de gérer les flux. Ou alors il faut que le ministère le permette. Mais vous imaginez bien que ce n'est pas possible. Comment le peuple français pourrait accepter qu'on décide pour lui des études que doivent faire ses enfants ? Car bien entendu que ce serait possible. Dès la classe de 1ere au lycée on pourrait commencer les orientations de manière à ce que les facs recoivent exactement le bon nombre d'étudiants de manière à avoir un placement optimal dans les entreprises à la sortie. Mais ce n'est pas ce qu'on appelle une démocratie.
Allez... le prochain billet sera plus apaisé !
Le Figaro donc, et on remarquera le titre volontairement racoleur, nous sort aujourd'hu un article intitulé "Pitte: On ne travaille pas assez à l'université". On apprend que Jean-Robert Pitte est professeur en géographie et ancien président de Paris IV. Il est en outre l'auteur d'un ouvrage intitulé "Stop à l'arnaque du bac". C'est pour dire ! A priori le Figaro a interviewé la personne la plus qualifiée pour parler de la situation...
Enfin quel que soit le statut d'observateur de JR Pitte je me méfie aussi des journalistes qui parfois, coupent des phrases ou les re-organisent comme bon leur semble. On va donc laisser le bénéfice du doute à tous ces gens et s'en tenir uniquement à ce qui est dit dans le papier.
On parle d'emblée des prépas qui "piquent les meilleurs bacheliers" à l'université. A priori, c'est pas faux, donc pas de raison de s'offusquer même si j'aurai bien aimé avoir quelques chiffres par série de bac pour que le lecteur se rende bien compte de l'étendue du phénomène. Ce qui me gêne n'est donc pas là, mais dans les soi-disant raisons qui poussent les "meilleurs bacheliers" à y aller : "Les professeurs y font leur boulot, les étudiants aussi. Tout le monde est motivé. On ne travaille pas assez à l'université même si celle-ci compte de grands professeurs. Enfin, les classes préparatoires aux grandes écoles et surtout les écoles, ensuite, fonctionnent dans l'idée de former les jeunes à trouver un job, ce qui n'est pas le cas des universités".
Les professeurs y font leur boulot.
Dit comme cela, et comme cause de fuite des bons éléments, cela sous-entend donc qu'à l'université les profs ne font pas leur boulot... Il faudrait alors savoir de quel boulot on parle. Alors le premier point est que lorsqu'on parle de classes préparatoires et de grandes écoles on ne sait pas très bien de quoi on parle... Public (X, Centrale, ENS, etc) ? Privé ? Plus loin dans l'article on apprend que la vision est plutôt particulière puisque le seul exemple d'école que l'on a est HEC (grande école de commerce consulaire, je reviendrai plus tard sur la nuance). Alors donc si on prend juste cet exemple, qui m'arrange car j'ai deux amis qui travaillent à HEC, on fait moins le boulot à l'université que chez HEC.
La seule vraie question est ici vous vous en doutez : quel boulot ? Je vais donc prendre l'exemple simple de l'enseignant chercheur lambda : le maitre de conférences. Le maître de conférences (MCF) assure un service d'enseignement de 192h (TD), fait de la recherche et assure tout un tas de tâches administratives (bénévolement). Je n'ai jamais vu un collègue d'HEC se déplacer sur les salons de type INFOSUP ou autre pour assurer des permanences pour discuter avec les étudiants et parents. Je n'ai jamais vu un collègue d'HEC assurer les emplois du temps d'une formation dont il serait le responsable, faire la sélection des dossiers de ses étudiants, assurer toute l'administration du diplome tout simplement. Ensuite niveau heures de cours (je ne vais pas avancer des chiffres mais j'essaierai d'en avoir dans la journée) je n'ai jamais vu non plus un collegue d'HEC être en "sur-service" et devoir faire 250 ou 300 heures de cours par an (chose qui arrive très souvent à l'université quand s'ouvre une nouvelle formation, le temps de recruter, ou pour remplacer un congé maternité, etc). Donc encore et toujours... la recherche ! Car oui, là je le dis, mes collègues d'HEC publient davantage que moi ! Mais est ce que ce n'est pas la moindre des choses ? Ils font moins d'heures de cours, ils ne font aucune tâche administrative, de grandes entreprises leurs amènent les thématiques de recherche, des moyens et le terrain. Ils n'ont quasiment qu'à diriger la recherche, et rédiger. Ils ont même accès à des budgets pour faire traduire les articles ce qui leur ouvre donc toutes les revues internationales possibles. Alors finalement, heureusement qu'ils publient davantage ! Mais sous entendre que l'université ne fait pas le boulot alors que les enseignant-chercheurs croulent sous les taches administratives (sans lesquelles l'université ne pourrait pas fonctionner) et les heures de cours... c'est aller un peu loin !
Les étudiants aussi
Là je trouve cette phrase totalement déplacée. J'interviens à l'université majoritairement. Mais comme je l'ai dit dans un billet récemment, je suis compétent sur un domaine assez pointu avec un forte demande en formation, il m'arrive donc parfois d'intervenir en grande école. Je donne du travail à faire, je n'ai pas remarqué qu'il y avait plus de retardataires lors des échéances que je donne dans un cas plutot que dans l'autre. Les étudiants font ce qu'on leur demande. Cette phrase "les étudiants aussi" était donc tout à fait inutile (comme la précédente et la suivante ceci dit).
Tout le monde est motivé
Continuons dans les clichés... C'est bien connu, le fonctionnaire (MCF) arrive 5mn en retard (quand il n'est pas en arret maladie) et part 15mn avant ! Il va à reculons au travail. Dans les grandes écoles, a priori c'est le contraire, tout le monde est super content de faire du bon travail et a grand plaisir à aller bosser... Heureusement qu'on nous dit que JR Pitte a été président d'une université car on pourrait vraiment se demander s'il y a déjà mis les pieds... ou inversement s'il a déjà mis les pieds dans une grande école. Là encore je ne vois pas du tout de différence d'ambiance ou de motivation. Au niveau des étudiants c'est pareil. Que ce soit en université ou grande école, il y en aucun qui saute au plafond de joie quand je leur annonce qu'ils ont un rapport à me rendre pour la semaine suivante. Alors peut-être qu'on ne parle pas des mêmes motivations...
Pour le lecteur il est important ici donc de comprendre qu'il y a grande école et grande école. HEC est une grande école (de commerce) consulaire dont les frais de scolarité pour les étudiants avoisinent les 7000 euros l'année. Si l'on prend une grande école publique, Centrale par exemple, les frais sont de moins de 500euros l'année. Donc pour une école comme HEC 7000eu par étudiant + de l'argent qui vient des entreprises on voit bien de quelle motivation on parle. Un enseignant chercheur d'HEC gagne entre 2 et 3 fois plus qu'un MCF (selon l'échelon). Payez autant les MCF, je pense que s'il y a un écart de motivation à la base (ce dont je doute), il va immédiatement s'estomper. "Tout le monde" ca veut dire également les étudiants. Prenez les étudiants de l'université, mettez leur un emprunt de 40 000eu sur le dos, ou sur celui de leurs parents (21 000 de frais de scolarité et le reste pour le logement, et la vie étudiante) et on va voir si leur motivation ne va pas augmenter également (dans le cas encore une fois où il y aurait une moindre motivation)...
Former les jeunes à trouver un job
Là aussi c'est bien connu. A l'université on crée des formations pour le plaisir d'envoyer les étudiants au chomage !
L'université est un service public. On attend de cette université qu'elle propose aux étudiants tous les diplomes possibles. Bien entendu qu'il y a des diplomes qui donnent plus facilement un travail que d'autres. Mais on ne peut pas obliger les étudiants à aller dans certaines filières. Chacun est libre de ses choix. Si tout le monde veut aller en lettres anciennes, on n'y peut rien. Le diplome de Master en lettres anciennes est fait pour donner du travail, tout comme un diplome de Master en Marketing dans une université de Gestion. Le problème n'est pas du tout là. Etant donné que ce sont les parents et les étudiants qui choisissent finalement les filières et les diplomes si une majorité d'étudiants choisit les lettres anciennes, c'est sur qu'à l'arrivée il y en aura moins qui trouveront du travail que s'ils avaient choisi marketing. Est ce que c'est parce que le diplome est mal conçu ? Non... Les deux diplomes sont à l'université, correspondent à des métiers. Et si on regarde l'année 2009 il y a surement plus de débouchés dans le marketing que dans les lettres anciennes. L'université fournit tout, mais elle n'est qu'un service. Ce n'est pas à nous de gérer les flux. Ou alors il faut que le ministère le permette. Mais vous imaginez bien que ce n'est pas possible. Comment le peuple français pourrait accepter qu'on décide pour lui des études que doivent faire ses enfants ? Car bien entendu que ce serait possible. Dès la classe de 1ere au lycée on pourrait commencer les orientations de manière à ce que les facs recoivent exactement le bon nombre d'étudiants de manière à avoir un placement optimal dans les entreprises à la sortie. Mais ce n'est pas ce qu'on appelle une démocratie.
Allez... le prochain billet sera plus apaisé !