La philosophie dans le jardin
Comme vous vous en êtes aperçu ici et là, ma préoccupation actuelle se situe dans la rédaction d'un ouvrage pédagogique dont j'ai promis le manuscrit à l'éditeur pour le début du mois de septembre. Il faut que je tienne les dates car fin septembre j'ai des papiers à soumettre pour deux congrès, donc je ne pourrai pas travailler sur tout en même temps. Donc pour l'instant, priorité à l'ouvrage. Je me rappelle encore mon dernier entretien téléphonique avec l'éditeur au mois de juin. Je lui disais que j'allais y travailler cet été, et qu'en deux mois j'allais forcément achever cela rapidement. Deux mois... cela paraissait tellement long.
Pourtant septembre, c'est la semaine prochaine, et je dois avouer que je ne suis pas tout à fait dans les temps. Et je pense que les dix jours à venir vont être très studieux. Comme certains l'ont dit en commentaire du dernier billet, on peut avoir besoin de l'état d'urgence pour donner le meilleur de soi-même. Effectivement, je pense que nombre d'entre nous a été confronté à l'urgence d'une échéance qui se traduit finalement en nuit blanche et une capacité à finaliser le travail de manière satisfaisante en peu de temps. C'est vrai que cela marche. Je vois en particulier pour les articles de congrès justement où il y a assez peu de pages (une vingtaine). Mais pour un ouvrage de 300 pages, l'urgence ne suffit pas, il faut une certaine rigueur dans le travail. Ceci dit, si je suis un peu en retard, l'état d'avancement de ce projet par rapport à ce que j'aurai été capable de faire il y a quelques années me fait constater que je me suis amélioré. L'expérience ? Sûrement... mais peut-être pas celle que vous croyez.
Depuis que j'ai quitté la ville universitaire pour la campagne, je me retrouve avec un grand jardin à entretenir. Plutôt que faire appel à un professionnel, j'ai décidé dans mon élan postmoderne de retour aux sources de m'y mettre moi-même. Aussi, je me suis équipé : tondeuse, tronçonneuse, etc.
Tout d'abord, comme moyen de procrastiner c'est carrément idéal. On DOIT le faire, alors faisons le, quitte à faire passer des choses plus "stressantes" après. Aussi, quand j'ai un article à rédiger, à évaluer, un cours ou une conférence à préparer, un tour dans le jardin n'est jamais une source de remords. Deuxième avantage, quand on est sur la tondeuse à essayer d'être précis pour ne pas couper des arbustes ou des fleurs que l'on veut épargner, aidé par le bruit du moteur, on est totalement coupé du monde. Le moindre de vos soucis est pour quelques instants oublié, on est totalement absorbé dans l'action, on est quelqu'un d'autre, un homme qui contrôle la nature, c'est plus valorisant que d'être à la merci d'une échéance ! Et enfin on observe et on tire des leçons. Il y en a sûrement bien d'autres mais dans le cas qui m'intéresse, l'entretien du sol et des arbres m'a appris quelque chose : la nature n'a aucune échéance, elle ne fonctionne pas par à-coups comme nous pouvons le faire très souvent quand nous avons quelque chose à faire, chaque jour les ronces, les branches, l'herbe, les orties, tout avance de quelques millimètres. C'est imperceptible. Pourtant en peu de temps, on voit bien que ça pousse et on n’en revient pas de ces ronces qui peuvent rapidement faire un mètre ou deux de long. La nature travaille "peu" chaque jour mais de manière indéfectible. Et pour l'homme qui l'entretient, il faut s'accorder. Avec la nature on peut difficilement remettre au lendemain. Si on laisse trop pousser, on atteint un seuil où on se fait déborder. La tondeuse ne peut plus attaquer des herbes si hautes, on passe un temps dingue à couper quelques mètre carrés car la hauteur des herbes facilite l'humidité. Combiné à la quantité de sève qui est contenue dans les herbes hautes, ce qu'on coupe est humide et du coup ne se coupe pas "net", cela s'entoure dans les lames, c'est un vrai calvaire. Alors que si on coupe régulièrement, qu'on entretient court, c'est souvent très sec, et au pire trop court pour s'emmêler dans les lames de la tondeuse. C'est la même chose quand on ramasse les feuilles mortes. Si chaque jour que je sors de chez moi je ramasse la vingtaine de feuilles qui sont tombées, je peux le faire à la main en 30 secondes. Si je laisse faire, les feuilles s'amoncèlent et il faut sortir un outil pour les ramasser et ça prend du temps, ça devient une corvée... Je pourrais multiplier les exemples mais je pense que tout le monde a bien compris.
Mais travailler régulièrement, même si l'on en comprend tout l'intérêt, ce n'est pas si facile... Si on compte, pour un ouvrage de 300 pages, deux mois de "vacances" - 60 jours - ca fait 5 pages par jour, sachant que ce ne sont pas des pages A4 mais un peu plus réduites, en tenant compte que ce n'est pas un discours "scientifique" donc moins formaté, avec peu de références, c'était comme on dit... pas la mer à boire. Mais si je regarde aujourd'hui ce que j'ai rédigé, je ne me suis pas encore tenu au bon rythme et je vais quand même avoir une montée d'adrénaline la semaine prochaine et sûrement devoir rédiger plus de dix pages chaque jour... Je pourrais me dire que je ne suis pas encore assez implanté dans ma campagne et que toute ces observations de la nature ne sont pas encore assez ancrées en moi pour faire pleinement leur effet. Mais peut-être qu'à procrastiner, j'ai finalement passé trop de temps dans le jardin plutôt qu'à rédiger... C'est compliqué !