Choisir sa discipline
Mardi le site du journal Le Monde a publié un article intitulé « Malaise à l’université ». Cet article est une liste de témoignages, censée j’imagine, montrer la grande précarité dans laquelle se trouvent bien des docteurs qui ne parviennent pas à obtenir le sacro-saint statut de maître de conférences (MCF).
La procédure qui permet de devenir MCF est déjà un exercice de style assez compliqué, possédant ses propres règles. Je ne reviendrai pas là-dessus d’ici la prochaine campagne de recrutement en 2010. Pour une description de la procédure, j’ai déjà rédigé un billet (voir ici).
Cet article du Monde décrit donc, des situations de post-doc, de vacations, de salaire de 1700eu/mois à bac+10 (sic ! pour la personne qui a sorti ça, il faut savoir qu’on ne compte pas les redoublements et qu’un doctorat ne sera jamais plus qu’un bac+8, je connaissais un garçon comme ça qui comptait bac+3 sa 3ème première année de fac…), d’un docteur en science politique qui se trouve au RSA avec 500eu/mois. En bref, des situations réellement problématiques pour les intéressés.
Cependant, une fois passée la lecture de cet article et malgré mon empathie naturelle. Il vient ensuite des questions sur les choix qui ont conduits ces docteurs à l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Attention, je ne dis pas, c’est bien fait pour eux, ils avaient qu’à y réfléchir. Loin de là. Le but de ce billet est davantage de préparer les étudiants qui souhaiteraient se lancer dans une thèse pour devenir ensuite MCF à prendre en considération un certain type de données qui est pourtant à la disposition de tous, et peut-être éviter un mauvais choix.
Alors bien entendu. Le principal point abordé est le salaire. Là, je ne m’étendrai pas car j’ai déjà fait un billet (voir ici). Mais il est étonnant que certains s’offusquent de leur salaire d’ATER. Avant de commencer une thèse on peut tout de même se renseigner sur les salaires ! Vous irez consulter le billet mais à la louche, un ATER plein temps gagne 1608eu/net par mois et un MCF gagne maintenant autour de 2000 net/mois en début de carrière. Vous voilà prévenus !
Mais ce qui ressort de ces témoignages, c’est la surprise ou le désespoir vis-à-vis du manque de postes. Et c’est vrai : des postes il n’y en a pas tant que cela. Mais quand même, je pense qu’on peut au moins tenter de s’orienter de manière à limiter les dégâts.
Le CNU met à la disposition de tout le monde des statistiques sur le nombre de docteurs ayant demandé à être qualifié au poste de MCF, le nombre de docteurs finalement qualifiés. Le nombre de docteurs qualifiés se présentant à la campagne de recrutement. Et finalement le nombre de poste ouverts dans les universités. Vous trouverez tous ces chiffres ici.
Ce que je retiens de ces chiffres – je sais que je vais énerver du monde en écrivant cela, mais ce n’est pas très important, c’est bien à cela que sert un blog je pense, à confronter des idées – c’est qu’on peut faire des efforts d’orientation de manière à avoir un poste.
Alors avant toute chose, il faut bien être d’accord sur un point : je me mets dans la peau de quelqu’un qui veut un poste à tout prix. En d’autres termes : la fin justifie les moyens. Mais je conçois que certains ne veulent absolument pas déroger à certaines règles de vie et ne voudront pas aller dans telle discipline non pas par manque de connaissance mais par conviction.
Je pense que lorsqu’on a fait 8 ans d’études (et 10 pour certains !) c’est effectivement une vraie gabegie que de se retrouver sans emploi et dans des situations précaires alors qu’on a œuvré pour avoir un emploi stable et intéressant. Comment passe t’on du statut d’élève brillant qui réussit ses études à trentenaire sans aucune expérience ne parvenant pas à décrocher un emploi qualifié ? Il y a tout une mécanique dont il faut absolument connaître l’existence. Encore une fois ce billet n’est pas là pour donner des leçons mais pour avertir les étudiants qui se lancent dans la thèse.
Le taux de qualification.
Tout d’abord avant toutes choses, une fois le doctorat en poche, il faut que le CNU qualifie le candidat, c'est-à-dire lui donne le droit de participer à la campagne de recrutement. Cette qualification est valable 4 ans. Toutes les sections ne sont pas égales quant aux taux de qualification. Si je regarde les extrêmes, d’un côté il y a des sections qui qualifient très peu :
Par exemple, sur la période 2005-2008, en quatre ans, la section 2 (droit public) a qualifié 205 docteurs sur les 926 qui en ont fait la demande. Soit un taux de 22,14%. Moins d’un candidat sur quatre est qualifié. Vient ensuite la section 1 (droit privé – vous noterez que niveau qualification les juristes ne sont pas à la fête) avec 30,21% (345 qualifiés sur 1142 demandes) soit environ un candidat sur trois. Ce qui est comparable avec la section 71 (science de l’information et de la communication) 30,89% ou encore la section 10 (Littératures comparées) avec 31,34%
A l’extrême opposé, les sections qui qualifient tout le monde ou presque. C’est le cas de la section 30 (Milieux dilués et optique) qui en 4 ans a qualifié 828 docteurs sur les 961 qui en ont fait la demande (86,16%) ou la section 34 (Astronomie, Astrophysique) avec 81,20% (324 qualifiés sur 399).
De manière générale, les sections dites de « Science » (sections 25 à 69) qualifient plus facilement (65,47% soit 23 300 qualifiés en quatre ans sur 35 591 demandes) que les sections dites de « droit » (sections 1 à 6) qui sont à 38,21% avec beaucoup moins de dossiers (seulement 6 sections) : 2 029 qualifiés pour 5 310 demandes.
Alors bien entendu, quand je dis qu’on peut faire des ré-orientation. Cela reste limité. Quelqu’un qui en quatrième année de droit, ne peut pas partir en master recherche d’astrophysique ! Cependant un examen précis de matière voisine montre parfois des taux de qualification sensiblement différents. Mais la qualification n’est qu’un laisser-passer. Elle ne signifie pas que vous allez avoir un poste. En fait pour certaines sections la procédure de qualification laisse passer le nombre idéal de candidats vis-à-vis du nombre de postes, alors que d’autres qualifient sans se poser la question des postes qui seront ouverts. Mais avant cela, il faut s’arreter rapidement sur un détail : l’évaporation !
L’évaporation.
Ce que le ministère appelle l’évaporation, c’est la taux de docteurs qualifiés qui finalement ne se présentent pas à la campagne de recrutement. La raison ? Ils trouvent du travail plus intéressant et/ou mieux rémunéré ailleurs. Ils ont généralement poser leur dossier de qualification pour se couvrir et avoir un poste de MCF dans le cas où ils n’auraient pas eu le poste qu’ils convoitaient dans le privé. Les sections les plus « touchées » par ce phénomène sont sans grande surprise dans les sections « sciences » la section 37 (météorologie, 63,3% d’évaporation) puisque Météo France recrute un grand nombre des diplômés. Les sections 65, 66, 67, 68, 69 (Biologie, physiologie, neurosciences) produisent des docteurs qui vous vous en doutez sont assez courtisés par l’industrie de la santé (production de médicaments, vaccins, etc), un peu plus de 50% d’évaporation dans ces discipline
Dans les sections « lettres », l’évaporation est moins grande (22% en moyenne). La section 20 (Anthropologie, ethnologie, préhistoire) affiche une assez forte évaporation (41,9%).La section 15 (Langues et littératures arabes chinoises, japonaises, hébraïques) permet l’évaporation dans les métiers de la diplomatie et de l’interprétariat (39,2% d’évaporation). La section 24 (Aménagement de l’espace, urbanisme) qui permet une carrière dans le domaine public des collectivités locales et autres affiche un taux de 29,7%.
Enfin les sections de « droit » sont celles ou le taux d’évaporation est le plus faible en moyenne (16,2%) avec une exception pour la section 6 (sciences de gestion) qui affiche un taux d’évaporation de 26,9% principalement dû au recrutement dans les écoles privées (HEC, ESSEC, ESC) et dans les cabinets de conseil (comptabilité, finance, marketing). On trouvera que le taux d’évaporation de ces sections est bien faible compte tenu des fortes potentialités sur le marché du travail. En fait, pour l’avoir observé parmi les collègues de ces sections dans mon université, certains ont une activité de conseil qui n’est pas incompatible avec un poste de MCF. Du coup, quand on peut avoir le beurre et l’argent du beurre… autant se présenter au recrutement de MCF.
Le ratio candidats / postes offerts
Cela parait être LE ratio important. On a bien compris que tout le monde n’était pas qualifié, qu’il y avait certains candidats qui choisissaient de poursuivre leur carrière hors de l’université. Mais combien propose-t’on de postes à ceux qui restent dans la course (chiffres de la campagne 2008) ?
Avec 109,4% la section 6 (sciences de gestion) arrive en tête. Davantage de postes que de candidats. Les sections 1 (droit public) et 2 (droit privé) suivent avec respectivement des ratio de 97,5% et 84,62%. Les sections 1 et 2, celles-là même qui qualifient le moins… Du coup cela donne envie d’aller voir du côté des sections 30 et 34 (celles qui qualifient le plus). Et effectivement on a des taux assez faibles avec seulement 18,85% pour la 30 et 25,53% pour la 34.
Du coup, on voit bien que ce ratio candidats/postes est biaisé. Il dépend énormément de la politique de qualification par la section concernée. Aussi, finalement pour avoir une vision plus large des chances de recrutement, il faut combiner le taux de qualification avec le ratio candidats/postes.
Taux de qualification * candidats/postes
Cela donne donc tout simplement le pourcentage de postes offerts par rapport au nombre de personnes ayant demandé la qualification. On pourrait affiner en prenant en compte le taux d’évaporation mais je commence à fatiguer. Je pense qu’on va déjà avoir une bonne idée !
C’est encore la section 6 (gestion) qui arrive encore en tête avec 71,74% de postes par rapport au nombre de demandes de qualification. Arrive en 2eme position la section 11 (anglais) avec 48,22% soit près d’un poste pour deux candidats à la qualification. Seule une dizaine de sections proposent un taux supérieur à 30%, ce sont les sections 12 (langues germaniques et scandinaves), 35 (structure et évolution de la terre), 26 (mathématiques appliquées), 60 (mécanique), 5 (économie), 15 (arabe, chinois, japonais, hébreu), 14 (espagnol, italien, portugais et autres langues romanes), 1 (droit public), 63 (électronique).
A l’opposé, la section 72 (epistémologie, histoire des sciences) propose trois postes à 59 candidats (3,85%).
Alors qu’est ce qu’on fait ? Est-ce que tout le monde doit s’inscrire en sciences de gestion ? L’avantage c’est que cela semble presque possible ! Vous êtes un matheux (maths ou stats) ? Feuilletez les sommaires de la revue « Journal of Finance », je pense que vous trouverez vite votre bonheur. Vous êtes plutôt passionné par l’anthropologie, l’ethnologie, la psychologie, la sémiotique ? Feuilletez « Journal of Consumer Research » et vous verrez comment ces matières sont appliquées non pas sur l’Homme mais sur le Consommateur. Votre truc c’est la musique ? la peinture ? la littérature ? « International Journal of Arts Management » vous montrera qu’effectivement, les arts aussi ca se « gère » !
Mais soucis : (1) si tout le monde part en sciences de gestion, on va se retrouver avec le même problème. Il n’y aura pas assez de place pour tout le monde… et (2) peut-être que l’aspect matérialiste ou mercantile de la chose peut vous gêner…
Pas trop de solutions donc, mais maintenant, j’espère que vous savez mieux où vous mettez les pieds.
Comme j’imagine que beaucoup ne sont pas d’accord avec cette vision, je vous dirai comme les jeun’z sur leurs blogs : lachez vos comm !!!